Souvenez-vous de Bentalha

Comme tu es belle!
Un filet de gouttes noires
À la commissure de tes lèvres fendues
Ton ventre rebondi
Comme un ballon d'oxygène percé
D'où sort un cri encore
Tes cuisses écartelées
Où suintent des baves rougies
Et tes beaux yeux jais
Tendus vers tes nuages intérieurs
Révulsés
Comme tu es belle!

Que faisais-tu Nedjma à Bentalha ?

L'ami Matoub est parti
Chanter chanter chanter
Chanter encore
En Amazight pour que d'autres ne comprennent pas
Qu'il pleure
Sur les cailloux de sang du Djurdjura
Un trou dans la tête

Nedjma Matoub,
Rejoignez-moi
Dans les jardins de Tibhirine
Ils sont partis la tête basse
Décollée
Nous donnerons des pommes aux yaouled
Ceux qui rient encore
Les pieds nus dans les caniveaux

Que faisais-tu Nedjma à Bentalha ?

C'est le printemps partout
Ici
Ça sent le jasmin et le cèdre
Les amis dansent la ronde sur les places
Publiques
Au son du bendhir
On s'amuse

Des copains partent en bateau
Visiter Istanbul
Tourner autour du mihrab
De la mosquée bleue de Sultanahmet camii
C'est Byzance

Les hôtels affichent complet
À Tripoli
Paraît-il qu'un vieux nabab
A réservé toute les suites
Les gens s’en foutent
Ils dorment dans les parcs et sur le sable des cimetières
Tranquilles
Des femmes fragiles pleurent
Quand le sable leur rentre dans les yeux

Comme tu es belle !
Comme tu es belle Nedjma !

Je t’amènerai à Assouan
Ecouter les mouettes sur les voiliers blancs
Nous irons à Sana’a
Au palais de Dhar Al Hajjar
Tu verras comme c’est beau
Dans le Hoggar
Voir les peintures rupestres des hommes bleus
Tu verras

Ils avaient un peu bu
Beaucoup fumé
Par amour de leur Terre
Oublies Nedjma oublies

Dieu est là il est grand
Derrière le moucharabieh de tes rêves

Que faisais-tu à Bentalha ?

Bouleversant. Années 96, 97 pour ceux que tu cites.
Et une liste longue d'autres à citer. Dont Hassi Messaoud, massacre et viols collectifs de femmes sans maris.
http://www.algeria-watch.org/mrv/2002/bilan_massacres.htm
Je vais pleurer avec toi sur Nedjma et Matoub. Homme noble et libre, Imajaghan.
Ta plume faussement fluide, comme un projet de voyage pour l'été et ta question qui revient en boucle "que faisais tu à Benthala?", cinq heures de massacre, cent, deux cents morts, litanie légère, qui s'ancre là, sur cette terre où l'on ne parle plus, pudeur, une étape à Tibhirine chez les moines enlevés trois ans, décapités qui ont perdu leurs corps.
Je ne peux pas commenter plus.
Je te salue.

lil

Merci beaucoup Lil.

Oui, un voyage touristique dans le Moyen Orient Arabe qui se baigne dans le sang en plein été.

Je n'ai que mes mots pour dire, et ils ne risquent pas leur peau, eux.

Salut à toi.

un témoignage d'une rare beauté; j'aime beaucoup!